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abécédaire du logement

A comme Airbnb...zzness

Trois siècles après la mort de Bernard Mandeville, une autre « fable des abeilles », moins heureuse, mériterait de nous être contée. L’abeille en question s’appelle Airbnb. Elle souhaite disrupter le modèle économique de nos « ruches » afin de produire plus de miel. Elle a révolutionné le fonctionnement du parc locatif de nos villes. Moderne et individualiste, rebelle mais capitaliste, Airbnb fait son nectar de l’ubérisation de la ville et du droit locatif, à l’ombre des fleurs d’amandiers et de jacarandas de Californie. Au pays du lait, du miel… et des business angels !

Fin 2007, avec l'aide de l'investisseur et homme de réseaux Nathan Blecharczyk, deux jeunes designers, Brian Chesky et Joe Gebbia, créent la société « matelas gonflable et petit déjeuner », « AirBed & Breakfast » . Ils vivent alors à San Francisco, immense et vrombissant couvain à ciel ouvert, incubant les jeunes cadres créatifs de demain. Ces deux-là ont l'idée de proposer des locations de courte durée aux touristes et à ces abeilles solitaires d’un genre nouveau que sont les nomadic workers : ces jeunes surdiplômés, hyper-mobiles trimballant leur bureau dans un laptop et leur maison dans une valise. Ils se déplacent en essaim, au rythme des vols internationaux entre deux villes-monde où le prix d’une nuitée hôtelière dans une chambre simple dépasse 100 euros, d’où l’intérêt de leur proposer un pool de logements locatifs à bas prix. À l’époque, San Francisco connaît déjà une fièvre démographique et immobilière liée au développement des startups informatiques qui ont colonisé toute la Silicon Valley. Les prix des logements se sont envolés ! L’équation marchande d’Airbnb est alors toute trouvée : pour les propriétaires ou les locataires, le service proposé offre l’occasion d’accueillir un « hôte » et d’empocher un joli pactole en louant ou sous-louant son logis à un loyer mensuel plus élevé que celui offert par la location traditionnelle. Les voyageurs en transit trouvent un toit moins onéreux que l’hôtel et la promesse d’une expérience, authentique et locale. Il y en a pour tous les goûts et budgets, de l’alvéole minable à la loge digne de la reine des abeilles !

Du buzz au bizz
Rapidement, Airbnb essaime partout dans le monde. Des centaines de milliers de logements du parc locatif traditionnel sont transformés en locations touristiques, pour quelques jours ou pour de bon. Le « bzz » de l’abeille devient « buzz », puis « bizz’ ». Le chiffre d’affaire et la capitalisation boursière de l’entreprise s’envolent avec le volume du précieux pollen qu’elle extrait, en butinant les frais de services facturés aux usagers. Alors que l'entreprise ne possède même pas un mètre carré. Situés dans les cœurs des principales villes, les grands logements, et plus encore les petits, sont massivement convertis en locations touristiques et mis en ligne sur le site de la firme. Le modèle se développe partout, même dans les territoires ruraux et peu tendus, où il représente ceci-dit l’opportunité d’entretenir et valoriser des résidences secondaires ou des logements anciens sous-utilisés ou désaffectés.
Dans la ville cependant, le bilan d’Airbnb est moins vertueux. Pêchant par excès de gourmandise, l’abeille est aujourd’hui responsable d’une raréfaction de l’offre locative dans les quartiers centraux des grandes villes. Vorace, elle a en réalité tout d’un faux bourdon : sa promesse vaporeuse annoncée dans sa formule marketing « belong anywhere » (« chez soi partout dans le monde ») est une supercherie et surtout une menace pour les vrais habitants. Plus prompte à extraire le miel qu’à le produire, elle est responsable d’une forte inflation des loyers et d’« expropriation différée » qui prive les ménages locataires en début de parcours résidentiel d’une partie du parc auquel ils pouvaient prétendre.

L'abeille vrombit moins fort
La chute de la fable pourrait changer. Aujourd’hui, de nombreuses municipalités tentent d’encadrer ou d’interdire les locations touristiques dans leurs centres. A Paris, Londres, Madrid, Seattle, San Francisco, Amsterdam… il est illégal de louer son bien plus de 60, 90 ou 120 jours par an. Berlin interdit de louer plus de 50% de la surface de son logement pour une courte durée. Tandis que Vienne a purement et simplement interdit toute location Airbnb dans plusieurs de ses arrondissements. L’adversité administrative n'est pas seule à menacer l'insecte. La crise du Covid remet également en cause la pérennité du modèle économique somme toute très « liquide » et précaire de la ruche Airbnb. Le déclin massif du nombre de clients internationaux, lié à l’effondrement des voyages l’a fortement fragilisé en l’espace de quelques mois. Trop gloutonne la reine a dû licencier un quart de son personnel -1900 employés-, afin de faire face à un bilan commercial annuel lourdement déficitaire.