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11.07.2022
abécédaire du logement

E comme Encorbellement

Rue Pastourelle à Paris

Attention la tête ! Vous risquez de vous prendre une poutre… Un encorbellement désigne, accrochez-vous, “une saillie portant à faux d’un mur, qui permet de supporter une charge en surplomb et en avant-corps de son nu”. A ce stade, il nous faut peut-être un dessin ! L’encorbellement vient du mot corbeille, en vieux français “corbeaux”, qui désigne en architecture des éléments posés les uns sur les autres, dont chacun est plus saillant que celui du dessous. Superposés, ces corbeaux en pierres taillées ou en poutrelles de bois, plus tard en métal, élargissent la maison ou l’immeuble d’étage en étage, au fur et à mesure qu’ils s’élèvent. De profil, les encorbellements dessinent une sorte d’ “escalier à l’envers”. Plutôt inconfortable donc, pour les volatiles qui pourraient s’y reconnaître et voudraient s’y installer !

Dans les villes européennes, l’encorbellement est typique de l’architecture médiévale tardive. Les immeubles bourgeois sont alors réalisés en pans de bois ou en colombages. Cette inversion apparente de la logique gravitationnelle des formes urbaines puise ses justifications dans des registres variés. Technique d’abord, avec des avancées qui font office de gouttière et protègent les façades inférieures en bois ou en torchis ainsi que les fondations et l’eau de pluie qui ne ruisselle plus sur les murs et ne stagne pas. Sécuritaire ensuite, puisque ces dépassements épargnent les passants et commerçants installés en rez-de-chaussée des solides et liquides dont la coutume est à l’époque de se débarrasser par la fenêtre. Urbanistique également, car les encorbellement servent à gagner de la place dans des villes souvent denses, dont l'extension est limitée par la topographie ou les remparts. Enfin et surtout, la fiscalité calculée sur la taille de la parcelle occupée au sol explique que certains propriétaires tentent d’en diminuer l’assiette en ajoutant quelques mètres carrés suspendus à leur bâtiment.
Elégance et opulence
Compte tenu de la faible avancée d’un étage sur l’autre, il est probable que les encorbellements, plus que réellement pratiques, furent aussi des prouesses d’architectes devenus signes extérieurs de richesse. Les styles sont variés, élégants et sophistiqués. Outre les traditionnelles terrasses à balustrades ou les auvents protecteurs, l’“AOC encorbellement” prend aussi la forme de loggias, des galeries situées en avant-corps de l’un des étages construites pour jouir d’un panorama, prendre l'air ou voir sans être vu derrière des croisées de bois, ou des moucharabiehs dans d’autres cultures. Il peut aussi soutenir des poivrières, tourelles coiffées de chapeaux pointus placées à l’angle d’un château ou d’un hôtel particulier, ou des échauguettes, plus souvent carrées, originellement réservées aux guetteurs, qui permettent d’ouvrir des vues bien plus larges que le seul coin d’une construction. Autant d’espaces où s’isoler, circuler, à la fois extérieurs et intérieurs, dont les fonctions redeviennent actuelles depuis notre expérience collective du confinement.
Dangereuse promiscuité
A la fin du Moyen- âge et à la Renaissance, l’architecture en encorbellement est tellement répandue qu’elle mène parfois à l’obstruction complète de rues et ruelles, réduites à l’état d’obscurs tunnels. Les échevins de Rouen interdisent en 1520 la construction de ces maisons, dont les étages supérieurs presque contigus privent les rues du soleil, de la pluie et de la nécessaire circulation d’air qui les rend praticables. L’encorbellement est ainsi jugé responsable d’une dégradation de la salubrité des immeubles et de l’espace public, et d’une augmentation du risque de propagation des incendies. En 1659, le chroniqueur, paysagiste et urbaniste anglais John Evelyn décrit la ville de Londres comme un « agrégat anarchique de maisons de bois s’avançant chacune davantage que l’autre sur la voirie ». Sept ans plus tard, 85% de la superficie de la ville est détruite par le Grand Incendie de 1666. Le feu se propage à toute vitesse en empruntant ces ponts de bois qui relient les étages supérieurs.
De beaux restes de ces beaux gestes
A Paris, on peut encore apercevoir des auvents en bois aux toits des immeubles médiévaux des 11 et 13 rue François Miron, dans le quartier du Marais. On retrouve aussi des encorbellements de pierre supportant les poivrières des hôtels particuliers, sur les façades de l’Hôtel des Archevêques de Sens, rue du Figuier, ou de l’Hôtel de Clisson-Soubise au 58 rue des Archives. De nombreux centres-villes médiévaux français ont aussi conservé des traces de cette architecture. A Vannes, Quimper, Saint-Brieuc, Rouen, Troyes, Bourges, Dijon, Strasbourg, Colmar, Bourg-en-Bresse, Albi, Cahors ou Figeac, on peut encore admirer de beaux encorbellements s’avançant sur des façades en colombage, de torchis ou de brique.