Actualités logement
29.07.2022
abécédaire du logement

K comme Kibboutz

Arieh Sharon, study of functions and interrelations, 1940's (In Ronny Schüler: Forms, Ideals, and Methods. Bauhaus Transfers to Mandatory Palestine).

Le kibboutz remet la terre au centre, celle du pays, celle du jardin. Il évoque le don biblique, le rêve pastoral, le choix marxiste de la collectivisation du foncier et la modernité économique d’Israël, fondée sur une production agricole technicisée pour être autosuffisante. Le kibboutz, de l’hébreu « קיבוץ » (assemblée), est d’abord une organisation sociale et politique, une expérience de vie et d’habitat en commun. Il est structuré autour d’un village agricole, établi en régime de propriété mutualisée et anti-spéculative… “Grain de maïs”, “Degania” est le premier à germer en 1909, au bord du lac de Tibériade. Ses fondateurs sont des immigrants, sionistes et socialistes, membres du Bund, l’organisation des travailleurs, juifs et (mais?) laïcs. D’origine russe, lituanienne et polonaise, ils redescendent aux champs après être “montés” en Terre promise selon l’expression consacrée... Soixante-quinze ans après l’émergence du fouriérisme, dix après la publication des thèses de Théodore Herzl et la naissance des kolkhozes en URSS, ils défendent le collectivisme, l’agrarisme et l’idéal millénariste du retour à la terre. « Poussière tu es né, poussière tu redeviendras » dit Dieu à Adam et Ève dans le Livre de la Genèse. Le kibboutz (ou la Bible?) développe une pensée écologique avant l’heure.

Une terre très terre à terre
Le kibboutz est une façon d’« habiter la terre ». Il propose un modèle d’autogestion qui emprunte à l’anarchisme et organise les rapports sociaux de manière horizontale. Tous les kibboutznik (habitants) sont des égaux. Aucune tête n’y pousse plus haut que l’autre. Les décisions sont prises par une assemblée, sans chef, ni représentant élu, qui se réunit à chaque fois que se pose une question concernant la vie de la communauté ou la gestion de la copropriété. L’égalité des sexes y est revendiquée. Les hommes sont à la cuisine, les femmes labourent les champs et se forment à l’ingénierie agronomique et inversement. Les enfants, séparés de leurs parents la plupart du temps, sont éduqués par la collectivité-providence, que l’historien Moshe Lewin decrit comme « arbre faisant croître des fruits en abondance ».
Le kibboutz pense enfin et surtout l’oikonomia, la « science de la gestion de la maison », de manière très… terre à terre ! Les lieux sont organisés selon un modèle d’habitat collectif fonctionnaliste dont les plans sont minutieusement établis, parfois par des architectes issus du Bauhaus qui réfléchissent aux distances à parcourir dans la journée, à celles qui séparent parents et enfants, les lieux publics de ceux de l’intimité… Au centre se déploient les édifices de vie collective (réfectoire, auditorium, bureaux, bibliothèque), entourés des jardins publics et des logements privés. Les équipements sportifs et les bâtiments industriels sont en retrait. Enfin, les bâtiments agricoles, champs et vergers sont construits à la périphérie. Symbole d’une société égalitaire, le Kibboutz tient aussi par son organisation stricte, de la journée, de la vie matérielle, de la sociabilité, de l’éducation, des temps de loisir, d’intimité et de repos. et… son contrôle social.

Vaincu par le soft power et le rêve yankee
Les greffes du modèle prennent rapidement et des centaines fleurissent entre 1920 et la décennie suivant la création de l’État d’Israël (1948-1960). Mais le modèle régresse en Israël à partir des années 70. La terre est désertée par ceux qui préfèrent habiter la ville. Le labeur agricole ne fait plus rêver. Les kibboutzniks, à peine 4% de la population israélienne en 1960, n’en représentent plus que 0,8% en 2020. Dans « The Kibbutz Dwelling : Ideology and Design », Eyal Amir, Arza Churchman et Avraham Wachman, chercheurs au Technion montrent que ce modèle finit par s’éroder, à mesure que le soft power américain diffuse le rêve d’un mode de vie libéral et individualiste. Dans le même temps, le renouveau des mouvements religieux favorise le repli des femmes et des enfants de certaines familles vers la sphère intime du foyer.
Jadis portée aux nues, le modèle essuie les critiques contre ce qui fit un jour son succès : surveillance et coercition sociales, trop faible intimité ou égalitarisme jugé répressif. Dans un article intitulé « The Limits of Equality : Insights From the Israeli Kibbutz », le professeur d’économie à Stanford, Ran Abramitzky, montre qu’entre les années 80 et 2000, les kibboutzim n’ayant pas réussi à moderniser leur production agricole sont soumis à des appétits de privatisation des ressources collectives, comme le foncier ou l’eau. Certains kibboutzniks commencent à trouver un peu stérile , surtout pour eux, le partage égalitaire de la terre et de ses produits.

Le mur de la propriété
Les kibboutzniks ont rendu la clé des champs, pour aller vers les villes… L'expérience demeure toutefois source d’inspiration pour des formes d’habitat moins radicales, collectives, participatives, coopératives qui se développent sous nos latitudes. Nés de nouvelles utopies, de contraintes économiques ou environnementales, ces montages qui tentent de faire cohabiter partage et portage ont encore peu de poids face aux solides murailles de la propriété privée. Pas sûr qu’il suffise d’en faire 7 fois le tour pour les faire tomber…