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abécédaire du logement

O comme Ostiarium, obscur objet fiscal

Façade murée du quartier des Carmes à Toulouse.

Il transforme votre maison en grotte et vous, en chauve-souris ou en rat cavernicole. L’ostiarium est une taxe frappant les portes des maisons. Pas bête, toutes en ont une ! Rendons à César ce qui est à César : cette idée lumineuse date de 46 avant Jésus-Christ et de la promulgation de la Lex Julia Sumptuaria, une des lois « somptuaires » réglementant et imposant les habitudes de vie et de consommation résidentielles des citoyens romains. Officiellement, cet instrument fiscal vise à mettre à contribution l’ensemble des propriétaires de l’Empire. Officieusement, son dessein est plus sombre... À propos de l'ostiarium et du columnarium (impôt similaire sur les colonnes), le sénateur romain et gouverneur de Syrie, Metellus Scipio, déclare cyniquement vouloir : « suffoquer les provinciaux et oppresser le peuple par l’impôt ». L’étouffement fiscal se double d’une réelle asphyxie. Pour ne pas payer, les Romains se calfeutrent dans des logements moins ouverts, aérés et éclairés, qui favorisent le développement de maladies infectieuses, pulmonaires et articulaires liées à l’air vicié ou au manque de vitamine D.

Quelque siècles plus tard, à l’époque des Lumières où le fruit de l’impôt dont bénéficie la Noblesse est perçu comme une injustice par le Tiers-État, l’ostarium, pourtant disparu, est toujours cité comme instrument de tyrannie par les intellectuels de la bourgeoisie éclairée. Ces derniers souhaitent faire souffler un vent frais et nouveau sur une société d’ordres nécrosée par les inégalités. Dans l’Encyclopédie, Diderot et d’Alembert le définissent comme « tribut que l’on faisoit payer de porte en porte et qui étoit très injuste, puisqu’il étoit égal pour le pauvre et le riche ». Injuste mais rentable... Ironie du sort, juste après la Révolution, le Directoire réinstaure un prélèvement exactement similaire, appelé sans détour « impôt sur les portes et fenêtres ». Le Législateur ne manque pas d’air ! Le principe d’inviolabilité de l’habitat privé venant d'être sanctuarisé par l’article 2 de la DDHC en 1789, ce dernier fourbit le sombre dessein de comptabiliser le nombre d’ouvertures des logements comme signe extérieur de richesse et donc comme base de l'assiette fiscale, plutôt que la surface habitable ou le nombre de cheminées intérieures.

L’impôt sur les portes et fenêtres fait partie des « quatre vieilles ». Avec la contribution foncière (revenus des terres), la mobilière (rente locative) et la patente (revenus industriels et commerciaux), il est l’une des quatre contributions directes aux finances publiques établies à la Révolution qui sévissent tout au long du XIXe siècle : siècle des « maisons meurtrières » et du repli sur la sphère de la domesticité, de la famille bourgeoise mononucléaire, confinée et étriquée et des plus sordides affaires civiles qui lui sont liées, comme celle de la Séquestrée de Poitiers décrite par André Gide. La principale victime de cet impôt indexé sur la surface totale des portes et fenêtres (encadrements compris) d’une habitation est la classe ouvrière, emmurée par les bailleurs-Thénardier qui condamnent les fenêtres des logements mis en location afin de réduire leurs charges. Dans Les Misérables, Victor Hugo fait d'ailleurs dire à l'un de ses personnages, l'évêque de Digne : « Il y a en France trois cent quarante-six mille maisons qui n'ont qu'une ouverture à cause d'une chose qu'on appelle l'impôt des portes et fenêtres. Mettez-moi de pauvres familles dans ces logis-là, et voyez les fièvres et les maladies. Hélas ! Dieu donne l'air aux hommes et la loi le leur vend ».

L’ostiarium moderne est accusé de pousser à la construction de logements insalubres, sombres, mal aérés, munis de trop petites ouvertures et dans lesquels les locataires pauvres se sentent emprisonnés. Il faut attendre la première moitié du XXe siècle pour que cet impôt fasse l’objet d’une première dispense, d'abord en 1921 dans les habitations à bon marché (HBM). Sous l’influence des hygiénistes, sa suppression définitive est obtenue cinq ans plus tard, en 1926. Il a toutefois laissé des traces dans le patrimoine historique bâti, par la condamnation de nombreuses ouvertures dont ne subsistent souvent que les encadrements, parfois juste le linteau et les jambages, et parfois les meneaux.