Actualités logement
30.11.2023
abécédaire du logement

P comme Propriétaire

« L’avenir appartient à ceux qui investissent tôt » (publicité pour la start-up d’accompagnement à l’investissement immobilier dans les logements anciens Masteos, 2022) , « Nos premiers mètres carrés, juste après son grand oui » (publicité pour la société de promotion immobilière Cogedim, 2023) , « Flash info immo, selon les experts ce ne serait pas le moment d’investir dans l’immobilier. Vraiment pas du tout. Cependant, d’autres savent que nous anticipons vos revenus locatifs, avant même votre livraison en vous offrant jusqu’à 1 500 euros par mois pendant 18 mois dès l’achat d’un logement neuf. D’ailleurs je vous laisse, j’ai un logement neuf à acheter ! » (spot publicitaire radiophonique pour Nexity diffusé en juin 2023). Dans les couloirs du métro parisien, sur les murs des villes, sur les ondes radiophoniques… j’écris ton nom : propriété.

La propriété, vol ou rêve ?
Acheter un logement n’est pas un acte anodin et pourtant nous sommes incités, en permanence, à sauter le pas – ou à recommencer. Crise financière, remontée des taux d’intérêt, hausse des prix… La communication s’adapte à toutes les situations, même contradictoires, pour vanter l’achat immobilier, l’acquisition de son logement ou l’investissement locatif. Ces publicités rangent le logement au niveau des biens de consommation. Là réside toute l’ambivalence des discours sur l’accession à la propriété : le logement est un droit, un bien essentiel, mais aussi un objet dont la possession peut s’avérer très rentable. Pour son propriétaire, pour les professionnels qui gravitent autour de sa construction et de sa commercialisation, pour les communes qui en perçoivent les taxes associées. Les ménages dépensent en moyenne un tiers de leurs revenus pour avoir un toit sur leur tête, pour répondre à ce besoin tout au long de la vie. Une dépense inaliénable donc, à moins… d’être propriétaire – et d’avoir entièrement remboursé son crédit. D’un côté un rêve, ne plus avoir à dépenser d’argent pour se loger, et toute l’idéologie que charrie la notion de propriété individuelle ; de l’autre un constat : la moitié des logements en location (hors logements sociaux) détenus par seulement 3,5% des ménages . D’un côté la propriété tranquille, de l’autre la possession voire l’accumulation spéculative. Être propriétaire, rêve ou vol ? L’un ou l’autre, ou les deux, selon qui habite le logement, où et dans quelles conditions.

Un projet de vie structurant …
En France, devenir propriétaire de son logement fait partie des rites de passage à l’âge adulte. On pourrait croire le rêve de la propriété hérité de la génération des baby-boomers et bien moins ancré chez les plus jeunes. Il n’en est rien. Selon une étude IFOP-CAFPI réalisée en mars 2021, 67% des 25 - 34 ans ont pour projet d’investir dans l’immobilier dans les 5 années à venir . Car le rêve, ou le besoin de propriété, correspond d’abord à celui de la sécurité. La garantie d’avoir un toit au-dessus de sa tête, peu importe les épreuves de la vie. Dans le parcours résidentiel, l’accession à la propriété est vue comme l’aboutissement d’un long cheminement, être logé chez soi et ne pas pouvoir en être délogé. Au-delà de cette sécurité immédiate, la propriété répond à d’autres objectifs, plus ou moins légitimes et aux effets plus ou moins délétères : léguer un patrimoine à ses enfants, ne plus avoir à rembourser son banquier lorsqu’au moment du passage à la retraite, les revenus, brusquement diminuent, s’assurer un complément en générant des flux financiers, s’enrichir, souvent un peu, parfois énormément… et pour cela, spéculer.

…ou une valeur refuge en temps de crise ?
Cette dernière logique pousse à la constitution d’un patrimoine immobilier par l’investissement locatif. Dans la grande famille des placements de rapport, le logement n’est pas un actif comme un autre. C’est même le seul qui permette de se constituer un capital, à partir de rien (ou presque : il est aujourd’hui difficile d’acheter un logement sans un apport d’au moins 10%). Les Français sont de bons épargnants, en comparaison avec leurs voisins européens (un taux d’épargne de 16,3% en 2022, supérieur aux scores de 10% des Italiens, de 8,5% des Anglais et de 6% des Espagnols ), mais prudents sur les marchés financiers. L’achat immobilier, moins risqué, demeure leur investissement favori, et constitue 62% de leur patrimoine brut . Ce n’est pas sans déplaire aux acteurs de l’immobilier, qui ont construit leur industrie et développé le parc résidentiel en nourrissant ces appétits et en faisant de la pierre une valeur refuge, avec succès. En 2021, les ménages propriétaires disposent d’un patrimoine brut 8,6 fois plus élevé que celui des locataires . D’un côté donc, tout indique que l’intérêt des ménages pour l’investissement locatif devrait se renforcer. De l’autre côté, les signaux envoyés par l'État peuvent aussi décourager les candidats à l’acquisition : suppression des dispositifs de défiscalisation après des décennies d'encouragement de ces systèmes, encadrement des loyers, contraintes autour de la qualité énergétique des logements loués, promesse de régulation des meublés de tourisme… Investir dans la pierre finirait par ne plus être si rentable. Et même les gains en plus-value ne semblent plus aussi assurés, en tout cas pas partout.

Un rêve à géométrie variable
La propriété ne permet pas la même accumulation de capital pour tous. Parce que tous les biens ne se valent pas, mais aussi parce que les stratégies mises en place pour les posséder ne répondent pas aux mêmes objectifs. Entre un logement acheté pour y habiter, parce qu’il nous plaît et nous convient et celui financé de loin, uniquement pour sa rentabilité, il y a un monde. Celui du marché immobilier, de son industrie, de son ingénierie, de ses montages. Doivent-ils servir à optimiser les revenus qu’il procure ; ou bien à envisager un partage plus équitable d’une valeur dont la hausse est considérée par les uns, comme un dû, quand d’autres l’entendent autrement, indue ?