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04.07.2022
abécédaire du logement

T comme Tente

Une tente… Que vous évoque cet objet-lieu de vie? Un week-end nature, un camp scout, un festival de rock, du glamping (glamourous camping…) ? La tente se fait écolo ou bobo dans sa version yourte voire chic lorsqu’on y ajoute des guirlandes et des sanitaires. Dans la rue, l’occupant d’une tente est un sans-domicile-fixe, sur une place, c’est un manifestant engagé, dans la nature un baroudeur, sur un théâtre de guerre, un militaire ou un médecin. Dans le désert, la tente témoigne d’une vie nomade et en ville, parfois d’un combat inégal avec des policiers qui piétinent et évacuent violemment ces bouts de toiles et leurs occupants, comme place de la République à Paris en novembre 2020.

Une tente et de multiples usages...
C’est que la tente est un objet difficile à catégoriser. Solution de logement temporaire et mobile pour qui veut, -ou doit- voyager en portant sa maison sur son dos, elle est également le premier lieu de sédentarisation, le premier seuil vers un espace « à soi », protégé du regard des autres et des intempéries. La tente est la première unité d’habitation, le premier logement construit. La plus ancienne a été découverte en Moldavie et daterait de -40 000 avant J.C.. Est-ce son côté pratique, léger et indispensable, elle n’a jamais cessé d’être fabriquée et peut l’être à l’aide de toutes sortes de matériaux. De nouveaux modèles apparaissent, toujours plus résistantes au froid, ergonomiques, ou écologiques. Les tentes belges ORIG-AMI distribuées aux SDF sont par exemple des abris en carton recyclé, facilement pliables et transportables. Elle change de taille: une personne se glisse dans la « Quechua 2 s » qui se déploie en un clin d’œil et se replie en à peine plus (une fois compris comment faire un 8). Il faut un peu plus de temps pour installer les tentes berbères aux sols recouverts de tapis, mais elles peuvent abriter des assemblées entières.
Une tente pour se loger
La tente permet aux SDF de soustraire du paysage urbain et à la vue des passants, la vision de leur corps fragilisé. Paradoxalement, le campement comme phénomène urbain mondialisé, issu de la précarité et des mouvements politiques qui la combattent, leur apporte, une visibilité nouvelle. En France, l’usage récent des tentes comme dispositif politique date de l’hiver 2006 avec l’installation des enfants de Don Quichotte le long du canal Saint Martin dans le 10ème arrondissement, pour faire réagir opinion publique et classe politique. En 2009, l’association Médecins du monde décide de distribuer ces abris aux démunis comme sur un lieu de catastrophe. La même année, au Japon, le village de tentes installé près du palais impérial par Renzo, la Confédération des syndicats du travail, dénonçait le sort des personnes qui perdaient leur emploi et n’avaient pas accès au chômage.
Une tente pour alerter
La géographe Djemila Zeneidi-Henry analyse ces mouvements qui mêlent l’usage des tentes, objet de survie et support d’action politique, comme une complexification des signifiants associés à la présence des SDF, et une politisation de l’ordinaire et de l’habitat. D’unité d’habitation, la tente s’impose comme « unité d’évaluation de la situation » pour dresser un état des lieux. La tente devient un symbole d’occupation de l’espace, non pas furtif et caché, mais revendiqué et militant, comme celui d’Utopie 56 qui accueille des mineurs sur la très touristique place de la Bastille, à Paris en 2022. Plus de 15 ans avant, le président de l’association Les Enfants de Don Quichotte déclarait: « on bougera s’il y a du concret. Chaque fois que quelqu’un sera relogé, on pliera la tente.». Pour le collectif Yes We Camp, l’accueil de touristes dans un camping au pied des centres d’hébergement, dans des projets d’urbanisme transitoire permet de replacer l’hospitalité au cœur des métropoles en occupant les interstices urbains et de montrer la tente pour ce qu’elle est, une étape intermédiaire entre le dénuement total de la rue et les lieux d’hébergement ou un vrai logement. Elle en possède parfois les attributs. Les tentes de la Jungle de Calais étaient décorées, « meublées » d’objets rappelant des ambiances ou des petits morceaux de la maison quittée.
Une tente pour protester
Le combat politique à travers cet objet ne se cantonne pas à la lutte pour le droit au logement. Le campement en ville est également associé aux grands mouvements de contestation. La tente y est utilisée comme le symbole d’une manifestation qui s’impose, via une infrastructure légère, durablement dans l’espace public. Elle s’installe souvent sur les lieux symboliques, places Tahrir au Caire, de la République à Paris avec le mouvement Nuit Debout, à New York avec Occupy Wall Street…
Une tente pour habiter ?
Héberger c’est loger, dit le sociologue Julien Damon. Et camper? Que nous dit une telle multiplicité d’usages, d’occupants, de dimensions sociales et spatiales? Si la tente peut constituer un « logement » pour ceux qui n’en ont pas, permet-elle d’habiter, dans le sens de se construire et se créer un rapport au monde ? Les sans-abris ou les sans-maison vivent à la rue, habitent un espace, une tente, dans l’attente de le quitter un jour.