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Télétravail : sitôt adopté, déjà délaissé ?

LIBÉRATION, SIBYLLE VINCENDON

Le retour des vieilles habitudes ? Selon une étude du cabinet YouGov rendue publique ce mercredi par Les Échos et réalisée début août, les travailleurs qui avaient été renvoyés chez eux en quarante-huit heures début mars sont revenus au bureau presque aussi brutalement, et en gros bataillons.

Ainsi, alors que 27% des personnes en situation d’emploi en France s’étaient retrouvées en télétravail du jour au lendemain, le chiffre serait tombé à 15% une fois le déconfinement achevé. La chute serait encore plus nette en Ile-de-France avec un passage de 39% de télétravailleurs à 14%. À Paris, où l’on décomptait 45% de salariés travaillant de chez eux pendant le confinement, ils seraient seulement 22% à y être restés.

De tels chiffres viennent contredire les plans de la ministre du Travail, Élisabeth Borne, qui estimait mi-août dans une interview au Journal du dimanche qu'il fallait mettre le télétravail en place à «chaque fois que c'est possible dans les zones de circulation active du virus». L'Ile-de-France, où les nouveaux cas de Covid-19 ont fortement augmenté cet été, voit effectivement le virus circuler de plus en plus activement mais, si l'on en croit les données fournies par YouGov, cela ne frappe pas les esprits.

Toutefois, sur le terrain, ces données suscitent le doute. Directeur chargé de la transformation des environnements de travail chez JLL, l'une des plus importantes sociétés de conseil en immobilier d'entreprise, Rémi Calvayrac, les trouve surprenantes. «L'idée d'un retour massif au bureau est très contraire à ce que vivent nos clients, explique-t-il. Nous avons de grands groupes américains et quelques groupes français du CAC 40 qui parlent de ne faire revenir leurs salariés qu'en fin de premier trimestre 2021, voire au deuxième trimestre».

Après le confinement, certaines entreprises «avaient annoncé des plans de retour pour le mois de septembre», dit Rémi Calvayrac. Depuis, en août, les cas de Covid-19 ont augmenté et la perspective d'annonces gouvernementales sur l'obligation du port du masque ont freiné les élans. «Aujourd'hui, tout le monde est dans le flou, résume-t-il. Mais on ne peut pas imaginer que la demande de télétravail diminue et encore moins si le masque est obligatoire. En tout cas, nous n'avons pas rencontré d'entreprises qui voudraient imposer un retour au bureau à leurs collaborateurs.»

Depuis les ordonnances Pénicaud de 2017, le télétravail est un droit. Toutefois, fin juillet, une étude d'Ipsos démontrait qu'il n'était guère revendiqué. N'examinant que la situation des salariés «en bureau» (et non pas «en emploi» comme dans l'enquête YouGov), l'institut constatait que, même si 65% avaient basculé en télétravail lors du confinement, ils étaient désormais 55% à être retournés pour de bon au bureau, quoique pas forcément tous les jours. Pour ceux qui ont continué à œuvrer chez eux, le nombre de jours par semaine passés à domicile a quand même diminué de moitié.

D'une certaine façon, les salariés ont un rapport ambivalent au télétravail. «Ils y ont trouvé une forme d'équilibre et un gain en temps de transports», dit Rémi Calvayrac. Les chiffres de fréquentation de la RATP en témoignent : seuls 60% des voyageurs sont revenus à une semaine de la rentrée.

Néanmoins, selon Ipsos, seules 15% des personnes interrogées pensent que le télétravail va se généraliser, tandis que 28% se disent certaines que la fin de l’épidémie marquera aussi la forte diminution de la pratique. En fait, plus que le tout ou rien, de nombreux salariés semblent rêver d’un mélange des deux situations : 45% d’entre eux travailleraient volontiers moitié au bureau, moitié à la maison.

Le retour massif des employés sur les lieux de travail serait-il un soulagement pour les employeurs ? Pas forcément. «Personne ne veut prendre de risque avec la santé de ses salariés», remarque Rémi Calvayrac. Début juin, face à la perspective d'une situation potentiellement durable, le patronat acceptait d'entamer une série de réunions avec les syndicats sur le sujet. «Pour se documenter», dit-on au Medef, où l'on ne veut pas communiquer avant les deux dernières réunions prévues les 3 et 11 septembre. L'organisation patronale a déjà fait savoir qu'elle refuserait d'aller plus loin que le diagnostic et d'ouvrir une négociation interprofessionnelle. Côté patronal, une source citée par le Figaro résume : «Si les syndicats veulent nous faire payer la moitié de la maison des salariés en réclamant la prise en charge d'assurances ou de factures de chauffage, ils trouveront une fin de non-recevoir.»

Sans être aussi caricaturale, la question est pourtant bien celle des conditions de travail. Une enquête menée pendant le confinement par IDHEAL, un laboratoire d'idées consacré au logement, avait montré les invraisemblables bricolages d'installation des télétravailleurs pour assurer le boulot de chez eux. Si le télétravail s'ancre dans les habitudes, les employeurs devront bien équiper leurs salariés d'une manière ou d'une autre. Sauf s'il n'a été qu'une parenthèse, comme l'étude YouGov semble vouloir le montrer. Quant au risque de contamination dans les lieux de travail, il semble absent du débat.